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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 22:47

Quand poésie et peinture se rencontrent :

 


             Max Ernst, La Puberté proche… ou Les Pléiades, 1921

 

 

Max Ernst est né en 1891 à Bruhl près de Cologne et mort à Paris en 1976. Il est une figure dominante du surréalisme. Par son œuvre novatrice et complexe il reste un des artistes majeurs du XXe siècle.

Ce tableau a été réalisé par le montage de différents éléments photographiques, assemblés et collés selon une logique qui vise le dépaysement, auxquels sont intégrées sur l’ensemble de l’œuvre peinture à l’huile et gouache. A cause de son impact sur l’inconscient, la technique du collage et du photomontage plaît aux surréalistes.

Pour son personnage central, Ernst utilise un nu de femme sur un divan. Par le passage de l’horizontale à la verticale, il transforme ce nu allongé en nu en suspension. Le bleu du fond évoque un ciel, tandis que les effilochements argentés, placés en haut du tableau, font penser à des ailes. Le titre, Les Pléiades, suggère une constellation d’étoiles. Un pavé en train de tomber, en bas et à gauche du tableau, évoque la force de gravité qui s’oppose à l’élévation des astres. Rappel aussi d’une célèbre phrase de Lautréamont qui, dans le premier des Chants de Maldoror (1868), écrit : « La pierre voudrait se soustraire aux lois de la pesanteur ? impossible. »

L’œuvre s’accompagne d’un poème énigmatique où il est question de gravitation, de force d’attraction, qui est aussi celle exercée par le corps de la femme. Jouant sur la polysémie du terme gravitation, Ernst glisse du phénomène physique exercé par la terre, à une attraction d’un autre ordre, exercée par le corps féminin, ouvrant ainsi la porte à la dimension du désir. La notion de gravitation est donc, au sens freudien du terme, surdéterminée. C’est dans son ouvrage capital, L’Interprétation des rêves (1900), que Freud définit le processus de la surdétermination : « Chacun des éléments du contenu manifeste du rêve est surdéterminé, il est représenté plusieurs fois dans les pensées latentes du rêve. »

 

La sensation qui se dégage de l’ensemble de la composition est d’une sérénité rare. L’harmonie chromatique qui s’établit entre l’étendue bleue pâle, le jaune sable et l’intensité de l’élément rouge placé au centre du tableau, participe de cet effet. Le nu féminin s’installe dans l’espace en équilibre, entre la verticale de son corps allongé et l’horizontale créée par son bras gauche qui se prolonge par une droite, traversant une forme ronde, est-ce l’image de la terre ? Dans cet entrelacs de formes, advient un chiasme optique qui réunit le corps féminin et la sphère terrestre. Les deux forces d’attraction se rencontrent et se superposent ainsi sous nos yeux.

Le geste de la tête qui se plie vient prolonger l’horizontale du bras pour s’inscrire dans une même ligne, à laquelle font écho, en bas et en haut du tableau, d’autres droites qui se répètent comme les vagues d’un ciel, en train de devenir, par ce mouvement même, une mer.

L’élément aérien et l’élément aquatique se confondent, comme souvent dans les tableaux de Ernst, où les poissons volent et les oiseaux nagent.

Mais ici, plus poétiquement encore, on peut parler des vagues de la mer, reconnaissables, en bas, par la présence du jaune sable, et des vagues du ciel : le violet, l’indigo, l’outremer, en haut du tableau, étant animés par un même rythme de flux et de reflux, répétition de lignes qui se plissent et évoquent les mouvements de l’onde aux abords d’une plage. L’instabilité des formes, la magie de la métamorphose en acte devant nous, font à juste titre, de Max Ernst, ce « magicien des palpitations subtiles » comme l’appelait l’écrivain surréaliste René Crevel.

 

La poésie, qui est textuellement présente par le poème écrit au bas du tableau, s’incarne ainsi dans l’œuvre. Texte et image deviennent complémentaires. La liberté qui préside à l’assemblage plastique d’éléments hétérogènes domine aussi dans ce poème qui ne désigne pas platement l’œuvre, mais en prolonge les retentissements.

 

« La puberté proche n’a pas encore enlevé la grâce tenue de nos pléiades\ Le regard de nos yeux pleins d’ombre est dirigé vers le pavé qui va tomber\ La gravitation des ondulations n’existe pas encore. »

 

Signifiant clé du tableau, le mot « grâce » pourrait à lui seul qualifier ce collage. Néanmoins la perturbation, si chère à Ernst (Perturbation ma sœur), joue aussitôt dans ce texte pour produire l’insolite, l’inattendu. C’est ainsi que le syntagme « puberté proche », s’oppose à ce corps de femme mûre au centre de la composition. Il en va de même pour le vers  « Le  regard de nos yeux pleins d’ombre est  dirigé vers le pavé qui va tomber », lequel contrarie la dynamique de notre regard, aimanté par le corps féminin. Mais il se peut aussi que nos yeux soient  encore incapables de voir la beauté, attirés par le point de chute du tableau, encore plus que par la grâce de la femme-astre, en état d’apesanteur.

L’artiste nous convie alors à voir autrement et à être sensibles à la « gravitation des ondulations » qui « n’existe pas encore » et qu’il fait advenir dans son œuvre. En effet, par l’admirable métaphore finale, « la gravitation des ondulations » qui rend parfaitement le tableau où les sinuosités féminines se lient à la gravitation terrestre, poésie et peinture se rencontrent et agissent conjointement sur le spectateur, hymne à la beauté féminine et à la beauté tout court.

Rappelons à ce propos la phrase de Ernst : « La nudité de la femme est plus sage que l’enseignement du philosophe ». Max Ernst rejoint encore une fois Lautréamont qui, dans ses Poésies, avec une prodigieuse force affirmative déclare « Qu’il faut tout montrer en beau ». C’est vers la beauté lumineuse et le désir, autre force d’attraction plus sublime et subversive, que l’artiste nous invite à aller. La beauté et le désir rejoignent l’amour, toujours source de connaissance et de dépassement de soi pour les surréalistes (cf. à ce propos les romans d’André Breton : Nadja, L’Amour fou et la célèbre équation de Paul Eluard : L’Amour la poésie) .

 

 

(La révolution surréaliste lors d'une exposition au Centre Pompidou en 2002)

 

A.C

 

 

Ernst--la-puberté proche-ou-Les-Pléiades

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