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16 mai 2011 1 16 /05 /mai /2011 22:33

Carnet de balles (1)

 

Les mots peuvent être comme des balles, j'entends des balles de mousse, des balles d'oxygène qui nous réconcilient avec l'enfance nous reliant à elle indéfiniment et à demain.

Balles de douceur aussi, d'une douceur déchirante, cachée, loin de la tranquillité et de la désolation.

 

 

 

D'un pinceau ému je repeins nos visages dont les yeux brillaient autant que nos lèvres sucrées d'écume de confiture.

La véranda était ouverte, la balançoire poursuivait son va et vient dans les branches des lilas. Les lézards se cachaient dans les rainures du muret, juste au-dessus de l'ancienne pompe à eau en fer forgé du jardin. Nous l'appelions la déesse des eaux, déesse coiffée de feuilles de lierre.

Sur la longue table de cuisine rectangulaire étaient éparpillés louches, paniers, cerises et noyaux qui nous servaient de monnaie, de repères dans nos jeux. C'était à qui en récolterait le plus. Le perdant avait souvent un gage : raconter une histoire, inventer un nouveau défi...

La grande marmite trônait sur la cuisinière, une corde à sauter serpentait le carrelage de la cuisine, assommée dans la poudre du soleil...

Matinée d'été. Nous attendions dans l'impatience triomphante l'écume mousseuse prête enfin à nous tendre le coeur  et répondre à notre gourmandise. Nous nagions dans les perles fruitées comme sur des nuages. Splendeur . Splendeur d'un soleil lointain qui tient entre nos doigts. Plus belle que la mer. Plus légère qu'une boucle de cheveux libérée d'un écrin. Telle une vague, qui revient nous lécher les pieds, parfumée à l'onde de l'enfance partie à la recherche de la fée des abeilles...

 

 

 

(2)

 

L'avions-nous trouvée ? Notre fée des abeilles. Oui, je crois que nous l'avions rencontrée bien des fois; il est plus juste de dire, je suis sûre de l'avoir rencontrée, ma fée...des abeilles. Je ne vous parle pas d'une fée sortie de l'imaginaire, ni d'un personnage , qui avec le bon côté du temps qui passe, revêt toutes les qualités nécessaires aux fées. Non, ma fée à moi est bien vivante, avec des cheveux noirs bouclés, une voix à faire fuir les mauvais esprits, qui nous chantait le répertoire de Luis Mariano et autres opus d'opéra, d'opérette, ou des chansons de style divers.

Pernelle. Pernelle, son nom roule dans ma bouche encore comme un caramel, un berlingot doré, quand je le prononce à voix haute. Pernelle portait très souvent des robes à fleurs, colorées et quand elle bougeait, elle vibrait avec l'élégance d'une gitane au fier port de tête. Très souvent à la mi-mai, elle nous invitait à venir dans son jardin cueillir les cerises et les manger avec délectation.

Pernelle était mercière dans le quartier, étonnement rue des Abeilles; en fait, elle tenait une mercerie qui faisait aussi office de quincaillerie : une caverne d'Ali Baba s'ouvrait devant nous, foutoir exemplaire, jardin du paradis, surtout pour nos yeux.

Tous les matins, à huit heures, avant d'arriver à l'école, Nina, Maxime et moi tapions à la fenêtre. Le store se relevait  dans un bruissement, tel le roulis d'une roue de bicyclette. Pernelle ouvrait la porte  et nous disait dans son sourire matinal : " Bonjour mes loupiots , qu'est- ce qu'il vous faut ? " et nous repartions vers l'école avec quelques friandises en poche et surtout le sourire de Pernelle. Car c'est son sourire que l'on venait chercher, davantage que les bonbons qui nous servaient de prétexte pour la voir, l'entendre nous raconter des histoires en remplissant ses étagères d'objets et de couleurs hétéroclites...

Si quelqu'un me demandait de dire Pernelle en deux mots, blessée et radieuse seraient ces deux mots-là. Et si je ne disposais que d'un seul, je répondrais, aimante. C'est un mot qu'elle porte à merveille, comme ce foulard de soie bleu ciel qu'elle met dans ses cheveux; et si je parle au présent, c'est que le passé n'a jamais cessé d'être un présent palpable, impalpable et qu'il fabrique l'avenir autant que l'avenir peut être une boutique à souvenirs.

 

Le temps. Comment un enfant pense-t-il le temps ? Le temps est un infini présent, tout lui paraît grand. Tout ce qu'il découvre, il le vit avec des yeux ouverts sur le monde et quand on lui raconte une histoire, il entre dans celle-ci sans chercher à savoir ce qui est vrai ou faux comme dans un rêve, d'ailleurs dans les rêves, si le temps et l'espace sont flous, les personnages deviennent réels.

Pernelle... marchait dans la vie comme si son désir était de vivre continuellement dans un rêve éveillé. N'allez pas imaginer, qu'elle était toujours d'humeur égale. Elle râlait comme tout le monde, contre le temps, contre le manque de temps et ceux qui lui faisait perdre son énergie pour des broutilles. Pernelle n'avait pas d'enfants ou plutôt tous les enfants du quartier étaient ses enfants.

Un jour que je lui demandai : " Pourquoi n'as-tu pas d'enfants à toi ?", elle me répondit cette phrase que je compris plus tard : " J' aurais été une mauvaise mère. " Je trouvais ses mots  durs vis à vis d'elle-même, puisqu'elle nous offrait sa présence, autant qu'elle le pouvait.

Pernelle n'était pas notre mère, pourtant elle était la meilleure ; " une mère " qui donne son amour sans attendre systématiquement un retour, en rejetant tout ce qui peut être lié à l'idée d' icône, et surtout parce qu'elle ne vit pas que pour ses enfants, elle vit ailleurs, d'ailleurs, d' autres amours, elle est femme, aimante, enfant, pleinement là dans chaque geste, dans chaque mot : " Bonjour Thib, tu passes me prendre tout à l'heure, je vais porter ce colis à Maïté. " Pernelle évoluait, kaléidoscopait dans une mouvance, imprévisible, imprévisible à elle-même également et qui contrariait certainement les attentes de chacun...car si inaccessible dans la proximité. Libre.

Aimer Pernelle, c' était...c' est l'aimer dans cette liberté.

 

(3)

 

- " Articules ! Je n'entends pas ce que tu lis. Reprends Poucinetta."

Assise sur un escabeau en bois rose, entrain d'ânnoner des syllabes en français, Pernelle affairée à mettre des couleurs dans sa boutique, m'écoutait de façon surprenante. Bref, elle ne me lâchait pas d'une ouïe.

On dit très souvent qu' un enfant ne se laisse pas mourir. Faux. Je suis née une seconde fois à sept ans. Plongée dans un mutisme de plusieurs mois, je dus réapprendre à parler, à lire, à écrire... et Pernelle fut ma magicienne...magicienne qui m'offrait l'entrée de son théâtre, dans lequel je déambulais, parfois sur l'avant-scène, parfois dans les coulisses. Là, je m'appliquais à écrire sur des minuscules feuilles quadrillées les mots correspondant aux objets que je voyais : -h-é-l-a-s-t-i-c. Non. -é-l-a-c-e-s-t-i-k. Non. élastique. Si.

Ce qui aurait pu paraître comme une forte contrainte, devenait un jeu entre nous. En même temps, j'entendais Rigoletto, Gilda, Alfredo, Violetta, Joan Baez et The Beatles me souffler aux oreilles leur vie secrète, bien au-delà du frottement du saphir arrêté en fin de ronde. Pernelle disposait d'un électrophone, qu'elle avait installé dans un recoin de sa boutique et qui fonctionnait au rythme d'une toupie. Pernelle aimait la musique et ne pouvait s'en passer, même s'il lui arrivait de la mettre en sourdine pour éviter les problèmes avec le voisinage.

 

(4)

 

- " Je pars ", nous dit-elle, un jour que nous étions venus jouer dans son jardin.

Je pars...elle part...du verbe partir. Partait-elle pour longtemps ou momentanément...Je la regardais fixement, j'ai dû faire tomber la balle que j'avais dans les mains. Même la balançoire ne se balançait plus .

Pernelle part. Sur le moment , les mots tombèrent comme un couperet. Le début d'une fin. Mais ne l'avais-je pas deviné. Pernelle avait l'esprit nomade et si elle partait, quelque chose, quelqu'un l'attendait, plus fort que la vie qu'elle menait ici. Nous ne sûmes presque rien des raisons de son départ. Pernelle s'épanchait très peu...

 

Quelques jours après, elle nous invita à une séance de cinéma. Un cinéma ambulant venait dans le quartier et proposait  "West side story" à l'affiche. C'était l'époque aussi où le film principal était précédé de courts-métrages. Ainsi, nous découvrîmes Charlie Chaplin et les comédies musicales sur grand écran.

- " Je pars " furent les mots de Pernelle... et Pernelle partit vraiment. Ce n'était pas du cinéma. Elle quittait la scène aussi légère et grave que dans les gestes qu'elle dessinait dans la vie quotidienne. Aussi légère...comme ... lorsqu' elle se balançait de la nacelle...aussi grave que les voix  à la fin de Rigoletto.

 

 

Pernelle s'en alla et la vie continua nous emmenant peu à peu vers des objectifs différents. Quand je revins  en France, j'appris que Pernelle vivait à Busseto. Je cherchai où pouvait bien se trouver cette ville. J'ai vu... et j'ai souri. Je comprends pourquoi elle aimait tant Verdi.

La mercerie de Pernelle n'existe plus, mais si elle avait encore existé, je ne serais pas rentrée. J'aurais eu peur d'effacer ce qui vit dans mes souvenirs et seule Pernelle apportait la vie dans ce lieu.

Je rencontrai certains de mes camarades qui l' avaient connue. Je pris conscience à les écouter, combien les souvenirs de chacun diffèrent. Comme dans une fatrie. Nous pouvons partager un même moment dans un même endroit avec une même personne et le passé laisse en nous un accueil opposé. Ou ce qui peut paraître important pour les uns, est oublié chez les autres.

Je n'ai pas de photo de Pernelle. Toutes les photos, je les ai prises de l' intérieur...mais ceci dit, peut-on prendre la liberté en photo...L'amour est mouvement. Il ne sait tenir en place. Alors comment, alors qui... peut répondre au vent qui court dans les vallons, au-dessus des monts et sommeille dans les herbes hautes.

 

 

Pernelle

 

 

C'était tout juste

Tout juste après

Ou bien plus tard

Après les premiers pas sur la lune

 

Etait-ce Au porte plume

Au lapin qui mange des prunes

De fil en aiguille chez Pacotille

Ferblanterie et quincaillerie à volonté

Ou Quolibets fichés chez Lou le mercier

 

C'était tout juste...

Ou peut-être me l'a-t-on raconté

Mais ce dont je me souviens

Je me souviens très bien

C'est Pernelle

Pernelle qui tournait la manivelle

Le volet s'ouvrait

La porte tintinnabulait

Et Pernelle lançait : "Bonjour mes loupiots

Qu'est-ce qu'il vous faut ?"

 

Il y avait tant de lumière

Dans son sourire

Tant d'écoles buissonnières

La rue dansait

Dansait

Ronde au goût de réglisse

De caramel "colle à mayar" et de berlingots

 

C'était tout juste

Tout juste avant

Quand les enfants voient tout

Tout très grand et très longtemps


Pernelle se balançant d'une nacelle

Pernelle et son coin de ciel

 

A.C


 

 

 


 



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