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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 16:39

 

Ballade


 

 

Je ne saurais manger une rose rouge,

Je ne saurais manger une rose blanche,

C'est en vain que le long cytise rougeoie,

C'est en vain que tombent les neiges cireuses du camélia

Et la crème de lumière du lys.

C'est en vain que les grappes de calices du lilas

Profèrent leur généreuse douceur.

Les abeilles l'adorent ; l'homme

Regarde, admire, désire mais ne mange pas.

Donne-moi la laitue qui s’est rafraîchie

Au cœur de la riche terre:

Sa moindre feuille, joyeuse élève,

Froissée de rire, a la gaîté croquante.

Donne-moi la moutarde et le cresson

Dont les tiges semblent à l'écoute

Comme les nymphes dans la nuit argentée

Au-dessus des tresses du corail;

Le radis qui cligne de l'œil, rond et rouge,

Et brille comme un rubis;

Et la bénédiction de l'oignon

Qui se répand sur le plus modeste repas;

La tête volontaire et glorieuse de la tomate,

Le froid concombre coupé fin;

Et laisse l'impériale betterave

Régner rouge sur toutes choses.

Même si les craintifs poètes préfèrent

Les façons banales des fleurs

Pour chanter leur Belle en bouton et en floraison,

Ces amours végétales, seules, enflamment

Les passions minérales de mon cœur-silex.

 

Dylan Thomas

 

traduit de l'anglais par Alain SUIED

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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 16:26

À cause des pivoines

 

 


 

À cause des pivoines lourdes de pluie
Très courbées sur la pelouse
Et de leur odeur lourde de nuit
À rendre les roses jalouses


À cause de l’orage au loin qui s’affaire
Couleur d’ardoise, parfum d’étain
Sur la dorure des blés en prière
Le dos rond de tous leurs grains


Je ralentis et je regarde...


À cause de cette flèche rousse
Surgie du long bois frissonnant
Renard furtif, au pas de course
Échine oblique de brigand


Je ralentis et je regarde...


A cause de cette plaine labourée
Silencieuse comme un livre ouvert
Lignes tracées non rédigées
Préface de brume signée l’hiver


Je ralentis et je regarde...


À cause de cette buse sur le piquet
Sentinelle de terres gelées
Et de son œil doré où apparaît
Comme une lampe qu’on vient d’allumer


Je ralentis et je regarde...


À cause des roses matinales
En robes étalées sur la pelouse
Roses poudrées virginales
À rendre les pivoines jalouses
Je ralentis et je regarde...

 

 

Bea Tristan

 

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14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 15:17

De bouche à oreille


De bouche à oreille,
goutte à goutte,
versez-y
quelques mots de poésie,
deux pour le jour trois pour la nuit;
quelques gouttes
en passant,
quelques mots
qu'on écoute,
qu'on attend,
pour la pluie et le beau temps;

et puis
laissez faire le jour,
laissez faire la nuit,

Regardez, maintenant :
de chaque saison de la vie,
la poésie
fait le printemps.

 

 

Antoine Bial ("choses vues ou presque")

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14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 14:54

Ernest Pépin, écrivain et poète est né  en Guadeloupe en 1950

 


livre_Ernest_P_pin_BabilDIS-LEUR

Un oiseau passe
éclair de plumes
dans le courrier du crépuscule
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que tu viens d'un pays
formé dans une poignée de main
un pays simple comme bonjour
où les nuits chantent
pour conjurer la peur des lendemains
dis-leur
que nous sommes une bouchée
répartie sur sept îles
comme les sept couleurs de la semaine
mais que jamais ne vient
le dimanche de nous-mêmes
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que les marées
ouvrent la serrure de nos mémoires
que parfois le passé souffle
pour attiser nos flammes
car un peuple qui oublie
ne connaît plus la couleur des jours
il va comme un aveugle dans la nuit du présent
dis-leur que nous passons d'île en île
sur le pont du soleil
mais qu'il n'y aura jamais assez de lumière
pour éclairer
nos morts
dis-leur que nos mots vont de créole en créole
sur les épaules de la mer
mais qu'il n'y aura jamais assez de sel
pour brûler notre langue
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur qu'à force d'aimer les hommes
nous avons appris à aimer l'arc-en-ciel
et surtout dis-leur
qu'il nous suffit d'avoir un pays à aimer
qu'il nous suffit d'avoir des contes à raconter
pour ne pas avoir peur de la nuit
qu'il nous suffit d'avoir un chant d'oiseau
pour ouvrir nos ailes d'hommes libres
VA
VOLE
ET DIS-LEUR...


Ernest Pépin ("Babil du songer" - éditions Ibis Rouge, 1997)

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13 février 2012 1 13 /02 /février /2012 19:29

 

 

 

 

 

MATINS D'HIVER, LAMPE ROUGE DANS LA NUIT...

 

 





Matins d'hiver, lampe rouge dans la nuit, air immobile et âpre d'avant le lever du jour, jardin deviné dans l'aube obscure, rapetissé, étouffé de neige, sapins accablés qui laissiez, d'heure en heure, glisser en avalanches le fardeau de vos bras noirs, - coups d'éventail des passereaux effarés, et leurs jeux inquiets dans une poudre de cristal plus ténue, plus pailletée que la brume irisée d'un jet d'eau... O tous les hivers de mon enfance, une journée d'hiver vient de vous rendre à moi ! C'est mon visage d'autrefois que je cherche, dans ce miroir ovale saisi d'une main distraite, et non mon visage de femme, de femme jeune que sa jeunesse va bientôt quitter...


Enchantée encore de mon rêve, je m'étonne d'avoir changé, d'avoir vieilli pendant que je rêvais... D'un pinceau ému je pourrais repeindre, sur ce visage-ci, celui d'une fraîche enfant roussie de soleil, rosie de froid, des joues élastiques achevées en un menton mince, des sourcils mobiles prompts à se plisser, une bouche dont les coins rusés démentent la courte lèvre ingénue... Hélas, ce n'est qu'un instant. Le velours adorable du pastel ressuscité s'effrite et s'envole... L'eau sombre du petit miroir retient seulement mon image qui est bien pareille, toute pareille à moi, marquée de légers coups d'ongle, finement gravée aux paupières, aux coins des lèvres, entre les sourcils têtus... Une image qui ne sourit ni ne s'attriste, et qui murmure, pour moi seule : « II faut vieillir. Ne pleure pas, ne joins pas des doigts suppliants, ne te révolte pas : il faut vieillir. Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir, mais comme le rappel d'un départ nécessaire. Regarde- toi, regarde tes paupières, tes lèvres, soulève sur tes tempes les boucles de tes cheveux : déjà tu commences à t'éloigner de ta vie, ne l'oublie pas, il faut vieillir !


Eloigne-toi lentement, lentement, sans larmes; n'oublie rien ! Emporte ta santé, ta gaîté, ta coquetterie, le peu de bonté et de justice qui t'a rendu la vie moins amère; n'oublie pas ! Va-t'en parée, va-t'en douce, et ne t'arrête pas le long de la route irrésistible, tu l'essaierais en vain, - puisqu'il faut vieillir ! Suis le chemin, et ne t'y couche que pour mourir. Et quand tu t'étendras en travers du vertigineux ruban ondulé, si tu n'as pas laissé derrière toi un à un tes cheveux en boucles, ni tes dents une à une, ni tes membres un à un usés, si la poudre éternelle n'a pas, avant ta dernière heure sevré tes yeux de la lumière merveilleuse - si tu as, jusqu'au bout gardé dans ta main la main amie qui te guide, couche-toi en souriant, dors heureuse, dors privilégiée.


 

Colette

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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 10:49

" Dans les yeux de quelqu'un on ne peut pas lire vraiment mais on imagine des choses."


   (extrait du "Le coeur de la baleine bleue")

 

 

 

" Les rêves sont comme des îles. Alors on est tout seul quand on rêve et ça ne peut pas être autrement."

 

  (extrait de "Volkswagen blues")


 

 

" Jack était un drôle de bonhomme. L'écriture tenait une telle place dans sa vie que certains aspects de la réalité lui échappaient. Ainsi, lorsque sa femme partait en voyage, il ne s'en rendait pas compte tout de suite. Pour le prévenir, elle lui laissait pourtant des notes un peu partout, sur la table de cuisine, dans le frigo, sur le miroir de la pharmacie, dans le Petit Robert. Avocate et experte en questions indiennes, elle devait souvent se rendre en avion sur les bords de la baie d'Hudson pour défendre les intérêts des Cris ou des Inuit dont les terres risquaient d'être inondées par les barrages d'Hydro-Québec.

Cette fois, elle était allée passer trois jours à Poste-de-la-Baleine dans un tepee au sol tapissé de branches d'épinettes.

 

- Qu'est-ce-que je vais devenir ? se plaignit Jack.

Sans elle, il était perdu : il oubliait de manger, il tombait malade, il croyait qu'il avait un cancer.

 

- Tu oublies l'article du Devoir, dit le chauffeur. Maintenant tu vas pouvoir travailler.

 

- C'est vrai. Merci mille fois

 

- Tiens, je pense à un truc qui pourrait te servir...

 

- Quel truc ?

 

- J'ai lu ça quelque part...C'est un écrivain qui n'aime pas beaucoup les choses qu'on dit de lui dans les journaux, alors un jour il décide de ne plus lire les articles et de se limiter à compter le nombre de lignes que le critique a consacrées à son livre.

 

- Très bonne idée, dit Jack. C'est ce que je ferai la prochaine fois. Il est grand temps que j'apprenne à ne pas tenir compte de l'opinion des autres et à détester mes livres par moi-même."

 

 

   (extrait de "La tournée d'automne")

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11 février 2012 6 11 /02 /février /2012 14:40
Ton visage est le mot de la nuit étoilée

Ton visage est le mot de la nuit étoilée
Un ciel obscur s'ouvre lentement dans tes bras
Où le plaisir plus vain que la flamme argentée
Comme un astre brisé brille et tremble tout bas

Vivante, conduis-moi dans ce nocturne empire
Dont l'horizon mobile enferme notre amour.
Je touche un paysage ; il s'éclaire, il respire
Et prend quelque couleur sans attendre le jour.

Que de choses j'apprends au défaut de tes larmes
Sur le point de me perdre où tu m'as précédé,
Mais enfin je renonce à détourner tes armes.
Je reconnais un corps que je dois te céder.

Perdons-nous ! Parcourons cette courbe profonde
Que tes genoux légers ne me délivrent pas.
Que je sois seul au monde
Au moment de tes larmes.

Que la paix de l'amour commence sous nos pas.

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10 février 2012 5 10 /02 /février /2012 14:20

 « Et puis la vie, elle ne se passe pas comme tu imagines. Elle va son chemin. Et toi le tien. Et ce n’est pas le même chemin. Alors… Ce n’est pas que je voulais être heureuse, non. Je voulais… me sauver de tout ça, voilà : me sauver. Mais j’ai compris tard de quel côté il fallait aller. On croit que c’est autre chose qui sauve les gens : le devoir, l’honnêteté, être bon, être juste. Non. Ce sont les désirs qui vous sauvent. Ils sont la seule chose vraie. Si tu marches avec eux, tu seras sauvée. Mais je l’ai compris trop tard. Si tu lui laisses du temps, à la vie, elle tourne d’une drôle de manière, inexorable : et tu t’aperçois que là où tu en es maintenant, tu ne peux pas désirer quelque chose sans te faire du mal. C’est là que tout se complique, il n’y a aucun moyen de s’échapper, plus tu t’agites, plus le filet s’emmêle, plus tu te rebelles, et plus tu te blesses. On ne s’en sort plus. Quand il était trop tard, c’est là que j’ai commencé à désirer. De toute la force que j’avais. Je me suis fait tant de mal, tu ne peux même pas imaginer.

Tu sais ce qui est beau, ici ? Regarde : on marche, on laisse toutes ces traces sur le sable, elles restent là, précises, bien en ligne. Mais demain tu te lèveras, tu regarderas cette grande plage et il n’y aura plus rien, plus une trace, plus aucun signe, rien. La mer efface, la nuit. La marée recouvre. Comme si personne n’était jamais passé. Comme si nous n’avions jamais existé. S’il y a, dans le monde, un endroit où tu peux penser que tu n’es rien, c’est cet endroit, c’est ici. Ce n’est plus la terre, et ce n’est pas encore la mer. Ce n’est pas une vie fausse, et ce n’est pas une vie vraie. C’est du temps. Du temps qui passe. Rien d’autre.

Ce serait un refuge parfait. Nous serions invisibles, suspendus. Imperceptibles même pour nous. Mais quelque chose vient gâter ce purgatoire. Quelque chose à quoi tu ne peux pas échapper. La mer. La mer ensorcelle, la mer tue, émeut, terrifie, fait rire aussi parfois, disparaît, par moments, se déguise en lac ou alors bâtit des tempêtes, dévore des bateaux, elle offre des richesses, elle ne donne pas de réponses, elle est sage, elle est douce, elle est puissante, elle est imprévisible. Mais surtout, la mer appelle. Tu le découvriras, Elisewin. Elle ne fait que ça, au fond : appeler. Jamais elle ne s’arrête, elle pénètre en toi, elle te reste collée après, c’est toi qu’elle veut. Tu peux faire comme si de rien n’était, c’est inutile. Elle continuera à t’appeler. Cette mer que tu vois et toutes les autres que tu ne verras pas mais qui seront là, toujours, aux aguets, patientes, à deux pas de ta vie. Tu les entendras appeler, infatigablement. Voilà ce qui arrive dans ce purgatoire de sable. Et qui arriverait dans n’importe quel paradis, et dans n’importe quel enfer. Sans rien expliquer, sans te dire où, il y aura toujours une mer qui sera là et qui t’appellera. »

.

ALESSANDRO BARICCO

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25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 17:17

..." Montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l'espace et considère chacun dans son image. [...] Surtout aie du temps et fait des détours. Laisse-toi distraire. Mets-toi pour ainsi dire en congé. Ne néglige la voix d'aucun arbre, d'aucune eau. Entre où tu as envie et accorde-toi le soleil . [...] Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles deviennent doux. Passe par les villages, je te suis.

 

Par les villages, Peter Handke

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24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 22:13

 On s’aimera

Pour un quignon d’ soleil
Qui s’étire pareil
Au feu d’un feu de bois
On s’aimera
Pour des feuilles mourant
Sous l’œil indifférent
De Monseigneur le Froid
De Monseigneur le Froid

On s’aimera cet automne
Quand ça fume que du blond
Quand sonne à la Sorbonne
L’heure de la leçon
Quand les oiseaux frileux
Se prennent par la taille
Et qu’il fait encore bleu
Dans le ciel en bataille
Dans le ciel en bataille

On s’aimera
Pour un manteau pelé
Par les ciseaux gelés
Du tailleur des frimas
On s’aimera
Pour la boule de gui
Que l’an neuf à minuit
A roulée sous nos pas
A roulée sous nos pas

On s’aimera cet hiver
Quand la terre est peignée
Quand s’est tu le concert
Des oiseaux envolés
Quand le ciel est si bas
Qu’on l’ croit au rez-de-chaussée
Et qu’ le temps des lilas
N’est pas près d’être chanté
N’est pas près d’être chanté

On s’aimera
Pour un tapis tout vert
Où comme les filles de l’air
Les abeilles vont jouer
On s’aimera
Pour ces bourgeons d’amour
Qui allongent aux beaux jours
Les bras de la forêt
Les bras de la forêt

On s’aimera ce printemps
Quand les soucis guignols
Dansent le french-cancan
Au son du rossignol
Quand le chignon d’hiver
De la terre endormie
Se défait pour refaire
L’amour avec la vie
L’amour avec la vie

On s’aimera
Pour une vague bleue
Qui fait tout ce qu’on veut
Qui marche sur le dos
On s’aimera
Pour le sel et le pré
De la plage râpée
Où dorment des corbeaux
Où dorment des corbeaux
.

Léo Ferré

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