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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 16:58

Outils posés sur une table

 

Mes outils d'artisan

sont vieux comme le monde

vous les connaissez

je les prends devant vous :

verbes adverbes participes

pronoms substantifs adjectifs.

 

Ils ont su ils savent toujours

peser sur les choses

sur les volontés

éloigner ou rapprocher

réunir séparer

fondre ce qui est pour qu'en transparence

dans cette épaisseur

soient espérés ou redoutés

ce qui n'est pas, ce qui n'est pas encore,

ce qui est tout, ce qui n'est rien,

ce qui n'est plus.

 

Je les pose sur la table

ils parlent tout seuls je m'en vais.

   Poèmes pour la main droite. Formeries, 1976.

Mystérieux Jean Tardieu, aux poèmes parfois légers mais aussi foncièrement angoissés et sombres.

C’est cette part d'ombre qu'il interroge dans ses ouvrages et qui le rend si troublant. 

Dans ce poème acide, il s'amuse à rapprocher le poète de l'artisan, ou bien à faire de la poésie un travail manuel (le recueil Poèmes pour la main droite fait écho aux Concertos pour la main gauche). On se ravit de la légèreté et la malléabilité du vers libre, les effets comptés et surtout la chute angoissante du poème. 

A.C

 


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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 15:41

Maurice Carême
Le Chat et le soleil de Maurice Carême
par mercure-mot-chrome.over-blog.com

 

 

Le chat et le soleil

 


 

Le chat ouvrit les yeux,

Le soleil y entra.

Le chat ferma les yeux

Le soleil y resta.

 

Voilà pourquoi, le soir,

Quand le chat se réveille,

J'aperçois dans le noir

Deux morceaux de soleil.


 

Maurice Carême

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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 13:34

" Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité."

 

Nelson Mandela

 

(extrait " Un long chemin vers la liberté ")

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25 février 2012 6 25 /02 /février /2012 13:12

Extrait de "Sido"

 

 

Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits… Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense. J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues.
A trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d'abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J'allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion…
Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle regardait courir et décroître sur la pente son œuvre, - « chef-d'œuvre », disait-elle. J'étais peut-être jolie; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d'accord…
Je l'étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par là verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu'à mon retour, et de ma supériorité d'enfant éveillée sur les autres enfants endormis. Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé mon saoul, pas avant d'avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais. L'une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible, froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète au centre d'un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe… Rien qu'à parler d'elles je souhaite que leur saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire… [Sido]

 

 

Extrait de " La naissance du jour "

 

 

Elle se levait tôt, puis plus tôt, puis encore plus tôt. Elle voulait le monde à elle, et désert, sous la forme d'un petit enclos, d'une treille et d'un toit incliné. Elle voulait la jungle vierge, encore que limitée à l'hirondelle, aux chats et aux abeilles, à la grande épeire debout sur sa roue de dentelle argentée par la nuit. Le volet du voisin, claquant sur le mur, ruinait son rêve d'exploratrice incontestée, recommencé chaque jour à l'heure où la rosée froide semble tomber, en sonores gouttes inégales, du bec des merles. Elle quitta son lit à six heures, puis à cinq heures, et, à la fin de sa vie, une petite lampe rouge s'éveilla, l'hiver, bien avant que l'angelus battît l'air noir. En ces instants encore nocturnes ma mère chantait, pour se taire dès qu'on pouvait l'entendre. L'alouette aussi, tant qu'elle monte vers le plus clair, vers le moins habité du ciel. Ma mère montait, et montait sans cesse sur l'échelle des heures, tâchant à posséder le commencement du commencement… Je sais ce que c'est que cette ivresse-là. Mais elle quêta, elle, un rayon horizontal et rouge, et le pâle soufre qui vient avant le rayon rouge; elle voulut l'aile humide que la première abeille étire comme un bras. Elle obtint, du vent d'été qu'enfante l'approche du soleil, sa primeur en parfums d'acacia et de fumée de bois; elle répondit avant tous au grattement de pied et au hennissement à mi-voix d'un cheval, dans l'écurie voisine; de l'ongle elle fendit, sur le seau du puits, le premier disque de glace éphémère où elle fut seule à se mirer, un matin d'automne… [La Naissance du jour]

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24 février 2012 5 24 /02 /février /2012 13:44

L'hiver printanier (extrait)

 

La jeune fille restait immobile. On aurait pu croire qu’elle était venue tout juste pour être ensevelie par la neige en ce lieu solitaire — mais c’était certainement pour de tout autres raisons qu’elle était venue là, toute radieuse.

Me laisser ensevelir par la neige, non, — je ne peux pas me laisser ensevelir par la neige, pensait-elle dans un frémissement de joie. L’homme sombre et dur, en fer, sur son socle là-bas, il peut se laisser ensevelir par la neige, ce doit être ce qu’il veut. Mais moi, je ne puis qu’avoir de plus en plus chaud.

La neige ne peut pas se poser sur moi, pensait-elle, et si elle le fait, tant mieux.

Pendant ce temps-là, les flocons mouillés se posaient, denses et lourds, sur ses épaules et sur sa casquette de garçon rejetée sur la nuque — ainsi que partout où il y avait une petite place pour s’accumuler. Elle était déjà couverte de petits tas ça et là.

Bien sûr, il y a de la neige qui se pose sur moi, pensa-t-elle quand elle s’en aperçut. Et pourquoi pas. Ne pas bouger, pensa-t-elle. C’est moi qui le veux. Non pas que la neige m’ensevelisse, mais que je devienne autrement, et c’est ça que je veux. Tout est autrement, ce soir.

Il va me voir ainsi, autrement, quand il viendra me trouver.

Elle restait aussi immobile que l’homme sombre de métal. Il était solitaire et abandonné ? Pour la jeune fille, elle frémissait de joie.

Je resterai ainsi jusqu’à ce qu’il vienne. Elle pensa : ce n’est pas un homme de métal, c’est un garçon bien vivant. C’est toi ? dirait-il, ou bien, est-ce que c’est seulement de la neige, tout cela, dira-t-il.

De plus en plus chaud.

Qu’est-ce que c’est que la neige, donc ?

 

Tarjei Vesaas

 

(Traduction Régis Boyer)

 

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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 19:58

" Notre civilisation est à certains égards inhumaine, profondément inhumaine, parce qu'elle a opté pour le plus contre le mieux, c'est-à-dire pour la quantité plutôt que la qualité. On pourrait aussi dire pour l'avoir plutôt que l'être. Cela donne des hommes vides aux mains pleines..."

 

Théodore Monod

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23 février 2012 4 23 /02 /février /2012 19:55

Poèmes bleus

Extraits


....Dans ce petit bistro tout seul
Dans l’éternité de l’espace
Une clochette à l’entrée
Trois marches pour dégringoler
Dans l’ombre des choses humbles...
....
De cet ivrogne dans l'azur
Qui fait mûrir
Qui fait pourrir
Qui dit le sec et le mouillé
Sur nos fronts partitions striés
Sans la moindre musique à l'intérieur
Rengaine où sanglote la source
Barques sur le dos
Ô nos révoltes grains de sable
Poussière dans le vent fané
Qui nous redira folle course
La joie farouche
Des chevaux du langage
Quand tout était encore tremblant
D'avoir liberté de mourir
Quand tout faisait encore semblant
De l'oublier dans un sourire
Les temps sont venus de la mort
De qui portes-tu le deuil, Terre,
Grosse de tant de cadavres
Que leur innocence a trompé
Mais dont l'âme flotte
En nos rêves
Nous ne pourrons jamais plus vivre
À marcher sur vos jeunes os
À piétiner votre colère
Nous ne pourrons jamais plus rire
Comme il faudrait de bas en haut
La glotte folle,
Avec cet ogre en nos poitrines
Qui nous ronge nous fend la peau
Allez
Car nous serons bientôt ensemble
Dans la bohème du caniveau
Nous fuirons en faisant la planche
Vers d'autres rêves d'autres feux
Autour desquels perdre nos rimes
Qui ne sont plus d'amour
Ni d'aise
Il est fondu, notre métal
Nous nous retrouverons bientôt.
 

 

Georges Perros

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20 février 2012 1 20 /02 /février /2012 18:22

Le voyageur


Je suis ce voyageur qui quémande une chambre

par une nuit d'hiver dans un hôtel bondé

la maison brille un peu en chassant une lampe

et c'est pareil aux nuits glacées du vieux décembre

quand l'hiver et la nuit semblaient tout occupés

le vent hurle en travers dans son manteau troué.

 

Il est là les pieds froids la tête sur la lune

sa valise effondrée forme une morne dune

et c'est vraiment la mer qui le suit qu'il entend

plutôt que cette voix d'hôtesse qui surprend

et descend des volets clos du premier étage

et dit " ne reste plus un lit dans le village"

 

Madame, savez-vous ce qu'est le cœur bondé

quand l'hiver et la nuit semblent tout occupés

la maison brille un peu en chassant une lampe

et c'est pareil aux nuits glacées du vieux décembre

quand regardant la porte et ne pouvant entrer

le voyageur est comme un rêve aux mains coupées

 

 

Luc Bérimont

 

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20 février 2012 1 20 /02 /février /2012 18:15


Tout Hasard

 

 


Cela a pu arriver.
Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin.
Pas à toi.

 

Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c'était à gauche. Car c'était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l'ombre.
Car le temps était ensoleillé.

 

Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n'y avait pas d'arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l'eau.

 

Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu
du concours de circonstances.

 

Tu es encore là ? Sorti d'un instant encore entrouvert ?
Le filet n'avait qu'une maille et toi tu es passé au travers ?
Je ne puis assez m'étonner, me taire.
Écoute

 

comme ton cœur me bat vite.


traduction Christophe Jezewski

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16 février 2012 4 16 /02 /février /2012 11:10

J’ai tant fixé la beauté

 


 

J’ai tant fixé la beauté

Que mes yeux en sont pleinement emplis.

Lignes du corps,

lèvres rouges,

membres voluptueux.

 

Chevelures semblant tomber des statues grecques,

toujours belles même quand échevelées

elles retombent un peu sur un front blanc.

 

Visages de l’amour comme le désirait mon poème…

Visages à peine entrevus, dans mes nuits,

dans les nuits de ma jeunesse…

 


 

Constantin Cavafy

 

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